20.03.2024 - 20.04.2024 Cinéma, Événements

LA JEUNE FILLE ET LES PAYSANS (« Chłopi »)

Par les réalisateurs de « La Passion Van Gogh », LA JEUNE FILLE ET LES PAYSANS est une œuvre cinématographique unique, adaptée du Prix Nobel de littérature « Les Paysans » de Władysław Reymont.

un film de Dorota Kobiela Welchman & Hugh Welchman

Au XIXe siècle, dans un village polonais en ébullition, la jeune Jagna, promise à un riche propriétaire terrien, se révolte. Elle prend son destin en main, rejette les traditions et bouleverse l’ordre établi. Commencent alors les saisons de la colère…

AU CINEMA LE 20 MARS

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’adapter ce roman de Władysław Reymont, qui est peu connu en dehors de la Pologne ?

HW : Pendant le tournage de La Passion Van Gogh, DK a eu envie de m’initier à la culture polonaise. Elle m’a acheté plusieurs romans connus, parmi lesquels Les Paysans. C’était de loin le plus long et on était très occupés à ce moment-là, alors je ne l’ai pas lu tout de suite. Quand j’ai enfin pu prendre un peu de vacances, après les Oscars, je me suis dit que c’était le moment ou jamais. Je l’ai dévoré, quatre fois, puisqu’il s’agissait de la traduction de 1924 en quatre tomes.
J’ai très vite vu que c’était un chef-d’œuvre. Dans la lignée de Charles Dickens, Thomas Hardy, Emile Zola. Les paysans ont été les piliers de la société européenne pendant plus de mille ans, jusqu’à la Révolution industrielle, et au-delà. J’ai eu très envie de faire découvrir ce magnifique livre au public non-polonais. Il le mérite amplement. C’est pour cette raison que nous avons travaillé sur une nouvelle traduction en anglais avec Penguin Classics, dans l’espoir de donner envie aux gens de lire aussi le roman.

DKW : J’ai écouté le livre audio du roman pendant que je peignais mon unique plan de « La Passion Van Gogh ». Je crois que j’ai été frappée par la beauté des descriptions que fait Reymont du village, des saisons et de la nature environnante. J’ai trouvé les personnages attachants, même drôles, bien plus que lors de ma première lecture, quand j’avais 17 ans. C’est un roman qui nécessite de la patience et un peu d’expérience de la vie.

Cette fois, l’histoire est vraiment centrée sur Jagna. Vous lui rendez enfin justice, on dirait.

DKW : C’était la raison principale qui m’a poussée à raconter cette histoire. C’est un superbe roman, truffé de descriptions à couper le souffle, mais ce qui m’attirait réellement dans l’idée de l’adapter, c’était Jagna. En tant que femme, j’ai moi aussi été injustement montrée du doigt de nombreuses fois dans ma vie. Je me reconnaissais vraiment en elle, ce qu’elle traversait me touchait. Au départ, on l’envie, elle est incomprise, puis, on la maltraite, on l’humilie et finalement, on la met à l’écart, tout ça parce qu’elle est jolie, rêveuse, artiste, qu’elle vit les choses avec passion, mais surtout parce qu’elle remet en question le patriarcat qui est soutenu par l’Église. C’était comme si elle m’appelait à elle. Le fi lm est ma réponse à cet appel. Votre version de l’histoire est bien plus féministe que le roman de Reymont.

C’était votre intention dès le départ ?

HW : Dans le roman, on sent que la vie de villageoise moyenne ne lui suffi t pas. C’est cette idée-là que nous voulions développer. Nous voulions montrer que la vie de toutes les femmes est déterminée par leur place dans la hiérarchie sociale, et aborder ça de façon moderne.
Jagna est le personnage le plus marquant du roman, mais ce dernier raconte l’histoire de toute une communauté. Nous, nous voulions vraiment centrer notre récit sur sa volonté de vivre à sa manière. Elle ne se soucie pas des choses matérielles, contrairement à tous ceux qui l’entourent, qui ne pensent qu’à posséder des terres et des biens. Son amant, Antek, l’anti-héros, est lamentable. Il est odieux avec sa femme, il fait passer son orgueil avant les besoins de ses enfants. Pourtant, le village le comprend et l’accepte tel qu’il est. Jagna, elle, ne trouve pas sa place.
Le fait qu’elle soit aussi la plus jolie fille du village ne joue pas en sa faveur. Elle se démarque. Par son comportement également, puisqu’elle refuse de céder, de s’effacer. Alors, tout le monde se retourne contre elle. C’est une chose qui se produit encore trop souvent, y compris dans le monde moderne. Il y a encore de grosses différences de traitement entre les hommes et les femmes, et en particulier les jeunes femmes qui se cherchent encore.

Comment s’est passé le casting ? Quelles caractéristiques recherchiez-vous ? Il y a quelque chose de très contemporain dans la prestation de Kamila.

HW : On cherchait quelqu’un avec un côté rêveur, un peu fugace, et une sensibilité artistique. Mais aussi quelqu’un d’une beauté saisissante. Nous ne nous sommes pas contentés de regarder du côté des actrices polonaises établies, nous avons aussi organisé des auditions dans des écoles d’art dramatique, ou de cinéma. Nous avons vu beaucoup de gens qui n’avaient aucune expérience. Les gens ont une image préconçue de Kamila, à cause de sa beauté. Ils veulent trop souvent la mettre dans une case, ils sont jaloux et possessifs. Elle doit se battre pour se définir comme elle l’entend. Elle fait une formidable Jagna moderne parce qu’elle comprend ce que vit le personnage, dans le contexte actuel.

DKW : Vous qualifiez sa prestation de contemporaine, mais la réalité, c’est le monde qui n’a pas tant changé que ça. Il y a toujours des femmes comme Jagna un peu partout, confrontées à des problèmes similaires dans un monde où les différences de traitement entre hommes et femmes existent toujours bel et bien. Surtout lorsqu’il est question de sexualité. Internet et les réseaux sociaux ont créé tout un tas de nouveaux moyens de harceler, humilier, tyranniser, traquer les jeunes femmes. Nous avons trouvé que son histoire était toujours d’actualité et c’est le message que nous avons voulu faire passer auprès du public. Notre intention n’a jamais été de faire un documentaire sur la vie dans la campagne polonaise au 19e siècle. Nous voulions avant tout retranscrire les émotions, la tension dramatique du roman de Reymont pour un public contemporain.

Avez-vous hésité à retranscrire la violence et la sexualité du roman à l’écran ? Vous n’avez pas eu peur que ce soit un peu trop brutal ?

DKW : Nous avons dû réfléchir soigneusement à la façon dont nous allions les montrer. Dans le roman, la violence physique fait partie de la vie quotidienne. Tout le monde ne cautionne pas la violence domestique, mais elle est acceptée. Nous, nous avons décidé de ne montrer que la violence qui était nécessaire à l’histoire. Quant à la sexualité, nous avons un carré amoureux au centre de l’histoire. L’histoire elle-même a pour moteurs la passion, la jalousie, la rage. Alors, le sexe devait être représenté. Mais on voulait que le film reste accessible à des adolescents. Alors, nous avons fait attention à montrer les choses de manière à obtenir toutes les certifications nécessaires.

HW : Le roman est beaucoup plus violent que notre fi lm parce qu’il fait quasiment 1000 pages, il y a un peu plus de tout. Par rapport au monde dans lequel la plupart d’entre nous vivent aujourd’hui, celui des personnages est beaucoup plus violent, plus dur. Mais c’est tout ce qu’ils connaissent. Nous, nous en montrons juste ce qu’il faut pour que le public s’identifie émotionnellement aux personnages et ressente l’impact de cette violence sur eux.

C’est un film très musical, rempli de chansons et de danse. Pour quelle raison ?

DKW : C’est vrai qu’étonnamment, c’est très musical. Lorsqu’on écrivait le scénario, on a été très inspirés par les descriptions des nombreuses fêtes, du mariage de Boryna et Jagna au cours duquel les invités boivent et dansent pendant trois jours d’affilée. Ce sont des gens qui mènent une existence dure, qui travaillent du soir au matin mais qui savent aussi célébrer le cycle de la vie. Ils aiment les vêtements, la musique, et ils adorent danser. On devrait tous danser davantage ! On trouvait également que la nature avait besoin d’être accompagnée de musique. Par moments, c’était elle qui devait parler pour les personnages, quand ils ne s’exprimaient pas assez ou qu’ils avaient la sensation que les choses leur échappaient. Notre étroite collaboration avec Lucasz « L.U.C » Rostkowski a été cruciale. Sans son travail passionné, le film ne serait pas ce qu’il est.

HW : Dans le livre, il y a de nombreuses références à la musique et à la danse. J’adorais une chose, c’est que dans ces moments-là, il n’était plus question d’être mesquin, on oubliait les ragots et les conflits. On se rend compte que ces gens étaient des artistes et que c’était comme ça qu’ils s’exprimaient, de manière passionnée.

Parlez-nous un peu de vos inspirations visuelles, et de l’idée d’incorporer des peintures connues dans l’histoire.

DKW : Le fait que Reymont soit un auteur de la Jeune Pologne (mouvement moderniste dans les arts graphiques, la littérature et la musique en Pologne), nous a donné l’occasion de lier sa prose aux œuvres des peintres de son époque. Le courant de la Jeune Pologne a touché de nombreux domaines et styles artistiques mais à la base, c’est un mouvement qui met en avant l’identité et la culture polonaises, qui dépeint la Pologne comme un pays fort, vivant, même lorsqu’il est occupé par des puissances étrangères. Nous avons sélectionné des tableaux des peintres polonais de la fin du 19e et début du 20e siècles et nous les avons combinés aux techniques cinématographiques et d’animation du 21e siècle. Nous nous sommes inspirés des œuvres de plus d’une trentaine de peintres, de Michał Gorstkin-Wywiórski à Ferdynand Ruszczyc, mais surtout de Józef Chełmoński, de l’école réaliste. Dans ses dernières œuvres, après son retour en Pologne, la campagne polonaise est très belle, très expressive. Ça correspondait exactement à ce qu’on voulait faire visuellement. Le book que j’ai créé pour le film avec Piotr Dominak, qui était aussi mon chef-peintre sur La Passion Van Gogh, s’inspire beaucoup de nos propres études aux Beaux-arts. Nous avons grandi avec ces tableaux, ils nous fascinent toujours autant. Le film était pour nous l’occasion de partager cette fascination avec le public polonais et international.

HW : Reymont est connu comme étant un auteur de la Jeune Pologne mais il y a un réalisme presque magique dans ses descriptions. Elles sont très poétiques. Il nous semblait vraiment cohérent de faire référence à tous ces peintres pour donner vie à ses mots. C’est quelque chose que les images en prise de vue réelles ne permettent pas de faire. On n’obtient pas la même émotion.

Vous pensez que c’est une bonne période pour l’animation pour adultes ? J’imagine que le marché a pas mal évolué depuis le succès de « La Passion Van Gogh ».

DKW : Je ne sais pas si c’est une bonne période mais c’est la période. Depuis La Passion Van Gogh, deux autres films, je crois, ont bien marché auprès du public et plusieurs autres ont été salués par la critique. Avant ça, c’était une chose rare, des évènements isolés. Maintenant, ils forment un petit village d’évènements isolés au milieu de l’immensité des films d’animation familiaux ou destinés aux enfants.

HW : Après « La Passion Van Gogh », qui a été le film polonais ayant connu le plus de succès au box-office et le troisième film d’animation pour adultes ayant le mieux marché, de nombreux distributeurs et vendeurs nous ont remerciés. Ils nous disaient que le monde était devenu plus ouvert à l’animation pour adultes. Mais ils nous demandaient aussi souvent si on comptait faire La Passion Van Gogh 2. Autrement dit, si on comptait faire la même chose avec d’autres peintres. Nous avions envie de faire autre chose, de montrer tout ce qu’on pouvait faire avec les techniques d’animation au cinéma. Donner vie à un roman de plus de 1000 pages, c’était un défi intéressant, et c’était aussi l’occasion de montrer que ça marcherait aussi pour un drame. « La Jeune Fille et les Paysans » fonctionne à une tout autre échelle que « La Passion Van Gogh ». Il y a de la danse et des combats. Chaque image nous a demandé deux fois plus de temps de travail, en raison du style plus réaliste et des mouvements dynamiques de caméra.

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