Récital du lauréat du 1er Prix du 18e Concours International de Piano Fryderyk Chopin @ Bozar
L’édition 2021 du Concours Chopin de Varsovie a consacré le talent de Bruce (Xiaoyu) Liu, jeune musicien canadien de 24 ans. Ce prestigieux concours est une récompense importante qui a distingué depuis 1927 de nombreux grands pianistes, comme Maurizio Pollini, Martha Argerich, Kristian Zimerman ou Rafał Blechacz.
Dimanche 5 décembre à 11h
@ Bozar – Salle Henry Le Boeuf
Tickets et info ici.
I Programme I
Rondo à la mazur, op. 5
Ballade n° 2, op. 38
Sonate pour piano n° 2, op. 35
Andante spianato et Grande polonaise brillante, op. 22
de Frédéric Chopin
En collaboration avec Bozar Music et l’Institut National Frédéric Chopin.
Retrouvez l’historique du Concours International de Piano Fryderyk Chopin et l’interview de Bruce Liu dans la brochure éditée par Bozar et l’Institut Polonais à l’occasion du récital.
Entretien avec Bruce Liu (Source)
Comment vous sentez-vous après cette victoire au concours Chopin ? Parvenez-vous à réaliser ce qui s’est passé ?
Absolument pas, car je ne m’attendais pas du tout à ce résultat. J’étais déjà très heureux d’atteindre la phase finale et de pouvoir jouer l’ensemble du répertoire que j’avais préparé. Lorsque le jury a annoncé que j’avais obtenu le premier prix, j’ai d’abord été quelque peu effrayé, car j’étais très fatigué à l’issue du concours. Ensuite, j’ai réalisé que cette victoire impliquait plus de travail à venir. J’étais très anxieux au départ. Mais à présent, un mois après la fin du concours Chopin, je me suis habitué à la situation et je commence à l’apprécier, car chaque nouveau lieu où je me produis m’apporte un nouveau type d’inspiration. L’expérience fut très enrichissante.
Quand avez-vous commencé à vous préparer pour le concours ? Et comment vous y êtes-vous pris ?
J’ai commencé à me préparer il y a deux ans, j’avais prévu une année mais le concours a été reporté. Avant cela, je travaillais sur de nombreux types de pièces différentes. D’une certaine manière, la pandémie m’a aidé à progresser. La chose cruciale qui m’a aidé, ce sont les enregistrements. Avec la pandémie, tout a été mis en ligne. Les cours en ligne ont donné naissance à un nouveau type d’éducation. Bien sûr, je me forme toujours auprès de mon professeur, car nous avons la chance d’habiter la même ville. Mais les masterclasses en ligne m’ont amené à devoir m’enregistrer, ce qui a développé mon sens critique. Généralement, les artistes n’aiment pas s’enregistrer. Lorsqu’on s’écoute jouer en direct, c’est différent. Sur un enregistrement, ça sonne mal à 100%. Objectivement, cela m’a vraiment aidé. Lorsqu’on s’enregistre, on comprend que l’avis des autres est justifié. Autrement, il est difficile de s’en convaincre soi-même.
Comment avez-vous réussi à gérer une telle pression tout au long de la compétition ?
Un facteur essentiel selon moi est le recours à ma propre imagination. Lors d’un entraînement en studio, on doit imaginer que l’on est sur scène. Avec la technologie, l’audio, la vidéo, on peut parfaitement l’imaginer. Lorsque je suis monté sur scène, je n’étais donc plus aussi nerveux parce que je connaissais bien la Philharmonie de Varsovie. J’avais déjà foulé ses planches des centaines de fois dans mon esprit.
Pouvez-vous expliquer comment s’effectue le choix des morceaux pour un tel concours ?
Le choix était délicat pour ce concours : d’un côté facile, de l’autre assez complexe. Le public, le jury, tous sont des experts de Chopin, chacun en sait plus que moi. Quel que soit le morceau que vous choisissez, cela n’a pas vraiment d’importance car ils peuvent immédiatement déterminer votre niveau de compréhension, votre degré d’assimilation. Dans ce cas, le choix est évident, mais également complexe car vu que tout le monde joue cette musique, il est très difficile d’y amener de la nouveauté. Chaque morceau a été joué tellement de fois. C’est là que la combinaison des pièces peut s’avérer essentielle. J’ai donc essayé de respecter une cohérence entre mes morceaux, tant au niveau des caractères que des tonalités.
Pourquoi avoir retenu le 1er Concerto pour la finale ?
Personnellement, je préfère le 2e Concerto. Je me souviens que mon professeur m’avait dit que puisqu’il était plus court, on risquait d’y faire moins d’erreurs lors d’un concours. Je pense que mon interprétation du 1er Concerto était plus convaincante, car je m’y sentais plus à l’aise. Le Premier est aussi plus souvent joué. L’orchestre les connaissait bien tous les deux. Je n’avais donc pas de raison évidente de choisir l’un plutôt que l’autre. J’ai longuement hésité car je les avais déjà tous les deux joués. Peut-être n’était-ce qu’un pari.
Qu’est-ce qui, selon vous, est unique dans la musique de Chopin ?
Cette musique n’est jamais ennuyeuse. Ceci dit, je finis toujours par m’en plaindre. Depuis le concours, j’ai joué le Concerto en mi mineur a dix reprises en seulement 2 ou 3 semaines. Je plaisante en disant que cela me fatigue. À chaque fois, je le joue avec un orchestre différent, dans une salle différente, avec un chef d’orchestre différent, sur un piano différent… Tout est différent. Quelqu’un a dit que tout ce que nous avons en commun, c’est la différence. Cette différence nourrit constamment mon inspiration. Il en est ainsi de la musique de Chopin. Il existe une infinité de façons de l’interpréter et de la jouer. Il y a toujours quelque chose de nouveau à apporter aux auditeurs. Dans l’art classique, il est important de ne jamais cesser de se développer. Cette musique reste très proche du cœur du public. Voilà pourquoi il est ému à son écoute.
Pourquoi, parmi tous les pianos, avez-vous choisi le Fazioli ?
Nous n’avions que quinze minutes pour choisir parmi cinq pianos. C’était un sacré défi à relever. Je me souviens du moment où j’ai entendu le Fazioli résonner dans la salle du Philharmonique de Varsovie. Quelqu’un était en train d’essayer le piano avant moi. J’ai été extrêmement touché par la sonorité noble et envoutante qui le caractérise. J’ai senti que cet instrument me permettrait de créer une grande richesse de couleurs. Bien sûr, nous sommes généralement habitués à jouer sur un Yamaha ou un Steinway en raison de notre pratique quotidienne dans les écoles. Le choix était donc risqué car je n’avais encore jamais joué sur un Fazioli lors d’un concours. J’ai tout fait pour m’habituer à ce piano tout au long de la compétition. Et je pense que cela a porté ses fruits. L’inspiration arrive lorsque l’on sort de sa zone de confort. Au final, on réalise avoir atteint un autre niveau.
Pouvez-vous nous présenter brièvement le programme de votre récital à Bozar ?
Je jouerai une partie de mon programme présenté lors du concours, à savoir le Rondo, la Ballade n° 2, la Sonate n° 2 et la Grande polonaise brillante. Ce programme illustre le côté dramatique, charmant et versatile de Chopin. Tout y est réuni. J’aime le rapport de tonalité entre le rondo et la ballade. Comme une opposition entre le noir et le blanc, de la joie au drame de la sonate. Avec un charmant morceau du jeune Chopin à la fin. C’est une excellente combinaison pour un récital d’une heure. J’ai vraiment hâte de jouer dans cette belle salle bruxelloise.
Est-ce un rêve qui se réalise ou une histoire qui commence ?
C’est vraiment un rêve qui se réalise, même si dans un sens, je n’avais jamais eu le courage de l’imaginer. Je n’avais jamais pensé que cela s’offrirait à moi. Au moment où j’ai réalisé que j’étais, peut-être, le prochain de ces pianistes légendaires de la liste des anciens lauréats, j’ai ressenti une énorme responsabilité. Il me faut constamment puiser en moi la fraîcheur et l’énergie pour continuer à produire une nouvelle inspiration. C’est la chose la plus difficile dans le monde actuel. Bien sûr, ce n’est que le début, mais le début d’une aventure excitante et fascinante.