12.12.2018 Littérature

Jacek DEHNEL et l’héritage spirituel des Habsbourg en Europe centrale

« Tout était, par exemple, kaiserlich-königlich (impérial-royal) et aussi bien kaiserlich und königlich (impérial et royal) […]. Elle s’appelait, par écrit, Monarchie austro-hongroise, et se faisait appeler, oralement, l’Autriche : nom qu’elle avait officiellement et solennellement abjuré, mais conservait dans les affaires de cœur, comme pour prouver que les sentiments ont autant de importance que le droit public, et que les prescriptions n’ont rien à voir avec le sérieux de la vie. » Ce passage de L’Homme sans Qualités de Robert MUSIL montre à quel point les habitants des terres de l’ancien empire des Habsbourg cherchaient en vain leur identité. Même si Allemands, Croates, Hongrois, Italiens, Juifs, Polonais, Roms, Roumains, Ruthènes, Slovaques, Slovènes, Tchèques se trouvaient réunis sous une même couronne, ils ne connaissaient pas l’unité. Cette asymétrie, on la trouve dans les livres de Franz KAFKA, de Stefan ZWEIG , dans ceux d’Andrzej KUŚNIEWICZ, ou plus récemment ceux de Atila BARTIS ou de Arno GEIGER, par exemple. Cette tension entre humour et mélancolie, entre grandeur et petitesse, entre nostalgie et oubli, entre la loi et l’individu, on la retrouve également durant la Guerre froide. D’où une série de questions : « Y a-t-il un esprit Habsbourg en Europe centrale ? », « Y a-t-il une littérature du Rideau de fer ? » Ce sont ces questions qui seront explorées le mercredi 12 décembre lors d’une rencontre avec trois auteurs d’Europe centrale : Jacek DEHNEL (Pologne), Jaroslav RUDIS (République tchèque) et un auteur slovaque à confirmer.

Cette discussion a lieu dans le contexte du programme culturel de la Présidence autrichienne de l’Union européenne et plus particulièrement en lien avec l’exposition Beyond Klimt qui se tient au Palais des Beaux-Arts du 21 septembre 2018 au 20 janvier 2019


 INFORMATIONS PRATIQUES
>>> Palais des Beaux-Arts BOZAR (Rue Ravenstein 23, 1000 Bruxelles) – voir la carte 
>>> mercredi 12 décembre 2018 – 20h
>>> 7€ | 5€ (acheter son billet en ligne)



Jacek DEHNEL (1980) est poête, romancier, traducteur, spécialiste de la poésie anglaise, peintre, lauréat de nombreux prix. Il est considéré comme l’un des créateurs les plus intéressants de la jeune génération en Pologne.

Saturne est une œuvre pétillante, de grande envergure thématique et qui intègre plusieurs modèles de récits. Au premier chef, nous sommes en présence d’un roman biographique consacré à la personne et à l’œuvre de Francisco Goya. Vient ensuite l’histoire d’un héros, tout aussi important dans le livre, mais dont les contemporains du peintre de génie ne savaient rien, c’est celle de Javier, son fils unique. Enfin, apparaît une troisième figure masculine, celle de Mariano, le fils de Javier et le petit-fils de Francisco. La fiction littéraire domine dans Sature, elle est librement reliée aux faits réels tels que présentés dans le biographies du grand Espagnol et dans le travaux consacrés à son époque. Une autre trame romanesque s’attaque au complexe d’Œdipe et au drame que peut être une paternité non assouvie. Par ailleurs, le livre rappelle une présentation d’artistes qui, par endroits, se transforme en essai sur l’art. Des descriptions de tableaux s’immiscent dans la narration tantôt en contrepoint tantôt en commentaire des événements fictionnels ou anecdotiques du roman. Ces faisceaux de trames sémantiques et de conventions d’écriture se rejoignent pour autoriser une tentative d’interprétation de l’Œuvre mystérieuse que sont les décorations murales de Goya, connues sous le nom de Peintures noires. Dans sa postface, Jacek Dehnel explique qu’il est parti du principe que l’auteur authentique des œuvres de Goya, était son fils. Après la mort de Francisco, Javier aurait encodé l’histoire de la famille dans les Peintures noires, et trouvé ainsi le moyen d’exprimer la relations extrêment difficile qu’il avait eue avec un père monstrueux, à la fois despote, lascif et mythomane. Autrement dit, dans l’une des représentations picturales dudit cycle, appelée « Saturne dévorant l’un de ses fils », ce serait lui, Javier, qui serait l’enfant. La raison pour laquelle il aurait été « dévoré » par ce père imposant et tyrannique, n’est pas du tout claire. Elle est ce sur quoi Dehnel enquête. La découverte du caractère homosexuel des amours tapageuses de Goya serait l’une des pistes les plus intéressantes. Il se peut que le fils raté, mélancolique, coupé des joies de l’existence, ne permettait pas au peintre de rompre définitivement avec son identité homosexuelle. Ce n’est que l’une des nombreuses hypothèses. Pareilles apories sont nombreuses, l’auteur est loin de donner des réponses tranchées : dans la maison de l’artiste, l’enfer familial n’était pas, pour le moins, le seul prix à payer pour se réaliser en tant qu’artiste. Le portrait de Goya, à la fois génie et monstre, est complexe, nous pouvons tenir cela pour l’une des grandes qualités de ce roman.
(Dariusz Nowacki, dans « Nouveaux livres de Pologne », Institut du Livre de Cracovie, 2011)

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