En 2009, le Parlement Européen a proclamé le 23 août, la date du pacte Molotov-Ribbentrop, la Journée européenne du souvenir (appelée auparavant la Journée européenne de commémoration des victimes des régimes totalitaires). C’est ce jour-là, en 1939, un accord entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique a ouvert la porte à la Seconde Guerre mondiale et à toutes sortes de violences totalitaires : de la migration forcée au génocide, en passant par l’esclavage et les crimes de guerre, jusqu’à un événement sans précédent dans l’histoire mondiale : l’Holocauste.
Le 23 août ravive la mémoire de millions de victimes des régimes totalitaires, y compris les détenus des camps de concentration nazis, des camps de la mort, des goulags soviétiques et des prisons staliniennes. Notre objectif est de vous rappeler leurs histoires individuelles. L’objectif de la campagne « Se souvenir. 23 août » est de cultiver la mémoire des victimes du nazisme, du stalinisme et de toutes les autres idéologies totalitaires, que nous nous efforçons de dépeindre non pas comme un collectif anonyme, mais comme des individus avec leurs propres histoires et destins.
Kazimierz Moczarski
Kazimierz Moczarski nait à Varsovie en 1907. Son service militaire effectué, il obtient un diplôme en droit à l’Université de Varsovie en 1932. Ensuite, il y poursuit des études de journalisme et se rend à Paris pour étudier pendant deux ans le droit international à l’Institut des Hautes Études Internationales. Par la suite, il travaille au Ministère des Affaires sociales, où il s’occupe de la législation relative aux conditions de travail.
Pendant l’occupation allemande, Moczarski est un membre actif d’Armia Krajowa (l’Armée de l’intérieur est le plus important mouvement de résistance en Pologne sous l’occupation allemande et soviétique), où il travaille au Bureau de l’information et de la propagande, dirigeant la division des enquêtes au sein de la Résistance. Il organise, parmi d’autres actions, la libération de plus d’une douzaine de prisonniers d’un hôpital en juin 1944. Pendant l’Insurrection de Varsovie en 1944, il dirige une des quatre stations de radio qu’il a créée et devient le rédacteur en chef de « Wiadomosci Powstancze » (le Quotidien de l’Insurrection). Pour ses activités, il reçoit la Croix d’Or du Mérite. Après la destruction totale de Varsovie par les Allemands, Moczarski réactive les centres d’information et de propagande de l’Armée de l’Intérieur à Cracovie et à Czestochowa.
En août 1945, Moczarski est arrêté par les nouvelles autorités communistes qui lancent une campagne visant à éradiquer toute opposition potentielle. En 1946, Moczarski est condamné à dix ans de prison, peine réduite ensuite à cinq ans. En 1949, au plus fort du stalinisme, une nouvelle série d’interrogatoires commence contre Moczarski et finalement, en 1952, il est condamné à mort. Dans une lettre adressée au tribunal, Moczarski énumère 49 méthodes de torture utilisées contre lui. Son emprisonnement avec le commandant SS allemand Jürgen Stroop pendant cette période est l’une des méthodes appliquées par ses oppresseurs pour tenter de briser sa volonté. Dans le livre « Entretiens avec le bourreau », Moczarski mentionne les promenades de Stroop, les colis de la maison, la bibliothèque personnelle et le droit de recevoir et d’envoyer des lettres — tous ces privilèges qui lui sont refusés. Après la mort de Staline en 1953, la peine de Moczarski est commuée à prison à vie, mais il n’en est informé que deux ans et demi plus tard.
En avril 1956, Moczarski est enfin libéré après 11 ans en prison. Il est réhabilité 6 mois plus tard. Pendant de nombreuses années après sa libération, Moczarski travaille comme journaliste. Il utilise adroitement les marges de liberté disponibles pour défendre diverses causes sociales. En 1968, il est démis de ses fonctions lorsqu’il prend la défense de ses collègues juifs à l’époque des purges antisémites dirigées par le parti communiste.
Kazimierz Moczarski meurt en 1975.
Le célèbre poète polonais Zbigniew Herbert dédie le poème « Co Widziałem » (Ce que j’ai vu) à la mémoire de Kazimierz Moczarski.
(d’après la Fondation Kazimierz et Zofia Moczarscy)
Milada Horáková
Milada Horáková nait à Prague en 1901. Son père est propriétaire d’une fabrique de crayons. Elle fait ses études secondaires à Prague pendant la Première Guerre mondiale, puis elle continue ses études à la faculté de droit de l’Université Charles, exactement trois ans après la naissance de la République tchécoslovaque. Elle obtient son diplôme en 1926 et devient la directrice du département des affaires sociales de la municipalité de Prague. La même année, elle rejoint le parti national-socialiste tchécoslovaque de centre-gauche. Depuis lors, elle est également le membre actif de divers groupes axés sur les droits des jeunes et des femmes.
Dès le début de l’occupation de la Tchécoslovaquie en 1939, Milada Horáková et son mari Bohuslav Horák rejoignent le mouvement de résistance. Tous les deux sont arrêtés par la Gestapo en 1940. Horáková est emprisonnée dans la prison de la Gestapo de Pankrác et dans la petite forteresse de Terezín. En 1944, elle est condamnée à huit ans d’enfermement. Ensuite, elle est envoyée au camp de concentration d’Ainach près de Munich. Libérée par les forces alliées en mai 1945, elle retourne rapidement à Prague.
Horáková rejoint le parti national-socialiste et devient le membre du Parlement jusqu’à la prise de pouvoir communiste en février 1948, date à laquelle elle démissionne de son mandat. Très vite, elle participe aux efforts de rétablissement de la démocratie avec d’autres anciens membres du parti national-socialiste.
Milada Horáková est arrêtée par la police secrète communiste en septembre 1949, en même temps que de nombreux autres anciens membres des partis politiques non-communistes et avec l’aide de deux « conseillers » soviétiques, elle commence à préparer un dossier contre eux. Bien qu’elle est contrainte d’avouer certains des « crimes » présumés, elle tente de se défendre courageusement, ainsi que ses coaccusés, lors du procès.
La procédure d’inculpation de Milada Horáková et de douze autres personnes s’ouvre le 31 mai 1950. C’est un procès spectacle, basé sur les procès soviétiques mis en scène lors des purges de Staline dans les années 1930. Le 8 juin 1950, Horáková et trois de ses coaccusés sont condamnés à mort. Malgré les appels à la clémence de personnages tels que Winston Churchill ou Albert Einstein, le président tchécoslovaque Klement Gottwald confirme leur condamnation.
(d’après La Radio tchèque)
Péter Mansfeld
Adolescent, Péter Mansfeld participe à la révolution hongroise de 1956 à Budapest. Il rejoint l’unité rebelle de János Szabó sur la place Széna à Buda, l’un de plus fort point de résistance de la Garde nationale insurgée. Il est le messager dont l’activité permet d’échanger les informations entre les différentes unités rebelles. Il transporte des tracts ainsi que des grenades, parfois des armes, il livre également des médicaments depuis l’hôpital Margaret.
La répression et la terreur des communistes montent particulièrement en décembre 1956 et janvier 1957. Ils conduisent aux exécutions massives d’insurgés hongrois et à leur déportation dans des camps de travail ou des prisons. La répression touche également des insurgés de la place Széna dont beaucoup sont pendus. Peu de temps après, Peter Mansfeld est arrêté. Mansfeld veut s’enfuir de la prison puis relancer la révolution. Il forme un groupe qui entreprend différents actes en 1958, entre autres, l’enlèvement et le désarmement d’un milicien patrouillant dans la zone de l’ambassade d’Autriche.
Peter Mansfeld est arrêté en février 1958 avec quatre de ses camarades. Les conditions carcérales sont extrêmement difficiles. Les adolescents sont interrogés toute la nuit et détenus dans de petites cellules sombres. Malgré les circonstances Péter conserve son courage et un esprit fort. Le procureur qualifie Peter de traître de classe et de contre-révolutionnaire en lui réclamant la peine maximale.
Le 21 novembre 1958 Peter Mansfeld est condamné à la prison à vie. Cependant, le 19 mars 1959 le tribunal populaire de Budapest durcit la peine. Il est condamné à la mort. Péter Mansfeld est pendu le matin du 21 mars à l’âge de 18 ans à peine.
Mala Zimetbaum et Edek Galiński
Mala (Mally) Zimetbaum nait à Brzesk (Pologne) en 1918. À la fin des années 20, elle émigre avec sa famille à Anvers (Belgique). En septembre 1942, elle est arrêtée lors d’une rafle de Juifs à la gare centrale d’Anvers. Quatre jours plus tard, elle se retrouve dans un transport vers le camp de concentration d’Auschwitz qui arrive sur place le 17 septembre. Lors d’une sélection à la rampe, elle est envoyée au camp de Birkenau, où elle reçoit le numéro 19880. Mala est engagée au camp de femmes comme interprète et messagère grâce à la connaissance de plusieurs langues.
Edward (Edek) Galiński est arrêté au printemps de 1940 avec un groupe d’élèves de collège pendant la campagne « AB » dirigée contre l’intelligentsia polonaise. Il est amené à Auschwitz le 14 juin 1940, dans le premier transport de prisonniers politiques polonais. Au cours de la procédure d’enregistrement Edek reçoit le numéro 531. Il travaille dans l’usine sidérurgique et dans une équipe d’installateurs, d’abord dans le camp d’Auschwitz, puis à Birkenau.
Grâce aux leurs fonctions, Edek Galiński et Mala Zimetbaum ont la possibilité de se déplacer dans le camp. Ils se rencontrent au tournant des années 1943 et 1944 et tombent amoureux. Initialement, Galiński prévoit de s’échapper avec son ami, Wisław Kielar. Vêtu d’un uniforme SS et équipé d’un pistolet, qu’il reçoit secrètement de l’ancien Kommandoführer de l’usine sidérurgique le SS-Rottenführer Edward Lubusch, Edek doit escorter son ami au travail. Cependant, après la rencontre avec Mala Zimetbaum, Edek insiste qu’elle s’échappe du camp avec lui. Finalement, Kielar renonce à l’évasion, ce qui aide à Mala et Edek lors de leur tentative de fuite.
Le 24 juin 1944, Galiński habillé dans son uniforme SS volé, attends Mala Zimetbaum à l’endroit convenu. En se servant d’un laissez-passer vierge pour les hommes SS, volé et falsifié par Mala auparavant, ils peuvent sortir à l’extérieur du camp. Au bout de deux semaines, ils rencontrent une patrouille allemande. Mala est arrêtée, mais Galiński arrive à s’échapper au dernier moment. Plus tard Edek sors de sa cachette et se rends aux Allemands pour rejoindre Mala.
Après une longue et brutale enquête Mala et Edek sont condamnés à mort. Torturés, ils ne relèvent pas des informations sur les personnes qui les aident dans l’organisation de l’évasion. Edward Galiński est pendu au camp de Birkenau, tandis que Mala Zimetbaum s’ouvre les veines pendant l’exécution. Elle est ensuite transportée au crématorium et est probablement morte à cause de perte de sang ou est abattue par les Allemands.
Juliana Zarchi
Juliana Zarchi nait à Kaunas (Lituanie) en 1938. Son père, lituanien d’origine juive, Dr. Mausha (Mauša) Zarchi, rencontre sa future épouse, Gerta Urchs alors qu’il travaille à Düsseldorf. Étant donné ils ne peuvent pas se marier au Troisième Reich en raison de la législation raciste nazie, Gerta se convertit au judaïsme en 1934 et épouse Mausha en Lituanie. Elle obtient ainsi la citoyenneté lituanienne. La famille continue de vivre en Allemagne jusqu’en 1937, date à laquelle le permis de travail de Mausha n’est plus prolongé. Ils décident alors de s’installer en Lituanie.
En 1939 la Seconde Guerre mondiale éclate. La Lituanie est annexée par l’Union soviétique puis, lorsque le Troisième Reich se retourne contre son ancien allié et attaque l’URSS en 1941, le pays est occupe par les nazis. C’est alors que le Dr. Zarchi décide de s’enfuir vers l’est en pensant que sa fille et sa femme, d’apparence aryenne, ont de meilleures chances de survie suite à son départ. Il a est tué par les Einsatzgruppen, ce que ses proches apprennent après la fin de la guerre.
À peine âgée de trois ans, Juliana, à moitié juive, est envoyée dans le ghetto de Kaunas et estbobligée d’y rester pendant plusieurs mois. Elle en sort clandestinement avec l’aide d’un proche de la famille, M. Pranas Vocelka. Sa mère craigne de se séparer d’elle, et Juliana passe presque toute la période d’occupation allemande cachée dans leur maison, dans la cuisine ou dans une petite pièce à côté. Ce n’est qu’à la toute fin de la guerre qu’elle est conduite chez des sœurs carmélites.
Lorsque l’armée soviétique rentre en Lituanie, Gerta espère ne plus craindre pour la vie de sa fille. Mais elles sont toutes les deux déportées au Tadjikistan, en Asie centrale, dans le cadre d’une purge des Allemands de souche. Elles sont stigmatisées par la population locale comme « fascistes » et forcées de vivre et de travailler dans des conditions désastreuses. Si les répressions s’atténuent après la mort de Staline, l’exil de Juliana et Gerta ne prends fin qu’au début des années 1960. Juliana retourne en Lituanie en 1962. Elle s’y installe et commence à enseigner l’allemand à l’université Vytautas Magnus de Kaunas (elle veut étudier la médecine, mais on lui refuse cette possibilité parce qu’elle fut déportée). Un an plus tard, Gerta rejoint sa fille. Toute sa vie, elle essaye de retourner à Düsseldorf, mais les autorités de l’URSS lui refusent la permission. Elle décède à Kaunas en 1991.
Aujourd’hui, Juliana vit à Kaunas où elle est membre de la communauté juive. Elle voyage régulièrement et partage son histoire et celle de sa famille sous les deux dictatures.
Le projet « Remember. August 23 » est une initiative du European Network Remembrance and Solidarity.
Nos partenaires:
Balassi Institute Brussels,
Czech Centre Brussels,
Maison de l’histoire européenne