27.01.2020 Histoire

UNE MÉMOIRE QUI NE DOIT PAS MOURIR

Le 27 janvier 1945, le camp d’extermination allemand nazi d’Auschwitz fut libéré par les soldats soviétiques. Ce qu’ils y découvrirent continue, 75 ans plus tard, de nous remplir d’une horreur extrême et de susciter la condamnation morale absolue.

               Environ 7 000 prisonniers du Konzentrationslager Auschwitz retrouvèrent alors leur liberté. Avant, entre le 17 et le 21 janvier, quelque 56 mille détenus furent évacués du camp principal et de ses camps annexes pour être amenés, dans de dévastatrices marches de la mort, vers l’intérieur du IIIe Reich. Ne restèrent au camp que des gens-ombres, irréversiblement mutilés dans d’inimaginables tortures physiques et psychiques. Par un miraculeux concours de circonstances, ils survécurent aux conditions inhumaines de la vie : à la famine, au froid, au travail au-dessus de leurs forces, aux maladies, tabassages, attaques de chiens, cris et injures des bourreaux. Certains subirent des expériences médicales criminelles. Chaque jour, ils virent mourir leurs compagnons du malheur : hommes, femmes, vieillards, handicapés et enfants. Chaque jour, ils furent témoins de nombreuses exécutions y compris de celles commises par les SS en guise d’une cruelle distraction. Une partie des prisonniers furent forcés de transporter les cadavres des gazés dans les crématoires pour les y brûler. Conscients que le même sort allait leur être réservé.

               Ce n’est qu’un bref aperçu de l’enfer sur terre que fut le KL Auschwitz – endroit où furent exterminés plus d’un million de Juifs et des milliers de victimes d’autres nationalités, dont Polonais, Roms, Sinté ainsi que des soldats de l’Armée rouge prisonniers de guerre. Des millions de Juifs dans les camps de Treblinka, Sobibór, Bełżec, Kulmhof, Stutthof et des dizaines d’autres connurent le même sort. Les autorités du IIIe Reich avaient planifié et mis à exécution une extermination totale du peuple juif. Pour ce faire, elles avaient créé tout un réseau de camps fonctionnant comme de véritables usines de la mort. Les meurtres qui y furent perpétrés avaient tout d’une activité industrielle – les détenus furent assassinés par centaines et par milliers, avec efficience, en tenant compte du temps et des coûts de transport, et en documentant le tout avec minutie. Jamais auparavant il n’y avait eu de déshumanisation ni d’humiliation aussi extrêmes de millions d’innocentes victimes.

Difficile de l’écrire, de le lire, d’en parler… Dans les Écritures, dans le livre de l’Ecclésiaste, nous retrouvons ces mots : Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de chagrin, et celui qui augmente sa science augmente sa douleur. Il nous est pourtant impossible d’échapper à cet effort d’augmenter la science des nouvelles générations. Même au prix des souffrances que cela apporte. Nous devons façonner l’avenir du monde sur la base d’une compréhension profonde de ce qui arriva, il y a plus de 75 ans, au cœur de l’Europe, et de ce dont n’arrêtent pas de parler les derniers témoins oculaires vivants. Puisse ce qu’était devenu la nation des descendants de Leibniz, Goethe, Schiller et Bach – une fois infectée du virus d’une morgue impériale et d’un mépris raciste – servir de mise en garde éternelle ! Nous ne pouvons pas non plus oublier que le dernier pas, le décisif, vers la Seconde Guerre mondiale – sans laquelle il n’y aurait pas eu la tragédie de la Shoah – fut le pacte secret du 23 août 1939 entre Hitler et Staline qui prévoyait de priver de liberté et de souveraineté les États de l’Europe centrale et orientale. Initiée alors, une étroite coopération de ces deux régimes totalitaires dura jusqu’aux dernières minutes précédant l’attaque par laquelle l’Allemagne nazie surprit l’URSS le 22 juin 1941.

               La mémoire de la Shoah ne doit pas mourir. Il est défendu de la dénaturer et de l’instrumentaliser, quels qu’en soient les motifs. Au nom de la sainte mémoire de la Shoah des Juifs, ainsi que par respect dû à toutes les autres victimes des totalitarismes du XXe siècle, nous ne pouvons le tolérer ni ne le tolèrerons pas. Nous ne ménagerons pas nos efforts afin que le monde se souvienne de ce crime. Et que rien de tel ne se reproduise plus jamais.

La Résistance polonaise endossa très tôt la mission de dévoiler la vérité sur la Shoah et de soutenir les Juifs menacés d’extermination. Créé sur les territoires polonais occupés, l’État clandestin tâcha de protéger tous ceux qui, jusqu’à il y a peu encore, furent citoyens d’une Pologne indépendante. Au mois de septembre 1940, Witold Pilecki, officier de l’Armée polonaise, ayant obtenu l’accord des autorités de l’État clandestin, se laissa emprisonner de son plein gré au camp d’Auschwitz dont il s’évada en avril 1943 pour rédiger un rapport sur ce qui s’y passait. En voici un fragment : « Les malades [du typhus], inconscients et déjà presque guéris (…) ont été mis dans des voitures et transportés (…) aux fours crématoires. (…) Un garçonnet de huit ans priait le SS de le laisser. Il s’est agenouillé devant lui. Le SS lui a donné un coup de pied dans le ventre et l’a balancé dans la voiture tel un chiot ». Jan Karski, émissaire du gouvernement polonais en exil, lui aussi témoin oculaire des atrocités commises au ghetto de Varsovie et au camp de transition allemand d’Izbica, rédigea un mémorandum sur le système allemand de génocide des Juifs. À partir de décembre 1942, il le présenta à des milieux d’opinion et aux autorités suprêmes des alliés. Avant encore, le général Władysław Sikorski, Premier ministre du gouvernement polonais de Londres, adressa aux alliés une note adoptée en réunion du Conseil des ministres en date du 6 juin 1942 où nous pouvons lire : « …les dimensions de l’extermination de la population juive sont invraisemblables. Dans des villes comme Vilnius, Lviv, Kolomya, Stanisławów, Lublin, Rzeszów, Miechów, des dizaines de milliers de Juifs sont massacrés. Dans les ghettos de Varsovie et de Cracovie, la Gestapo procède tous les jours à des exécutions en masse. (…) Les persécutions des Juifs en Pologne sont les plus affreuses de toute leur histoire ».

Parallèlement, l’État clandestin polonais mit en place un Conseil d’assistance aux Juifs auprès de la Délégation du Gouvernement au pays. Grâce à son action, 50 000 personnes obtinrent des documents, trouvèrent refuge, argent ou bénéficièrent de soins médicaux. Des diplomates polonais organisèrent des évasions de Juifs vers des territoires non contrôlés par l’Allemagne nazie. Un pourcentage considérable de rescapés de la Shoah durent leur vie à des milliers de Justes parmi les nations polonais. Dans nos récits de famille, dans les documents historiques et littéraires reste vive la mémoire de nombreuses personnes d’origine juive cachées dans des combles, des caves et des granges. Celle du modeste repas partagé avec un Juif en fuite, du chemin sûr qu’on lui indiquait. Et il faut rappeler qu’en Pologne chacun de ces gestes était puni par l’occupant allemand de peine de mort. Cela arriva des milliers de fois. Parmi les millions de Polonais, il y eut aussi ceux qui, étant en mesure de prêter assistance à des Juifs cherchant à se cacher, n’arrivaient pas à surmonter la crainte pour leur vie et celles de leurs proches. Il y en eut d’autres qui, mus par des pulsions viles, dénonçaient des Juifs aux autorités allemandes d’occupation ou bien perpétraient eux-mêmes à leur égard des actes ignobles. Dans les circonstances dramatiques de l’époque, la justice de l’État clandestin polonais condamnait ces criminels à la peine de mort et les exécutait.

Installés sur le territoire de la Pologne occupée, radicalement contradictoires à nos culture et histoire millénaires, à l’esprit polonais de la liberté, de la tolérance et de la solidarité, les camps de concentration allemands nazis furent et restent pour nous une humiliation insupportable. Le génocide des Juifs, bien que perpétré sur le territoire de presque toute l’Europe, fut un coup particulièrement poignant porté à l’État polonais, pluriconfessionnel et multiethnique depuis des siècles. Dans la Pologne d’avant-guerre, la communauté juive comptait parmi les plus nombreuses de toute l’histoire de ce peuple. La moitié des 6 millions de citoyens de la République de Pologne ayant trouvé la mort en résultat de la Seconde Guerre mondiale (plus d’un citoyen polonais sur cinq) furent des Juifs polonais. Et ce sont eux qui constituent en même temps le groupe le plus important de victimes de la Shoah. La communauté juive, vivant et s’épanouissant sur nos territoires au cours de presque dix siècles, disparut presque complètement en l’espace de quelques années. La Pologne perdit brusquement des milliers de créateurs de la culture, chercheurs, médecins, juristes, fonctionnaires, entrepreneurs, artisans, commerçants et autres spécialistes juifs très appréciés. Parmi les victimes, il y eut des conjoints, des amis, des voisins et des collaborateurs de personnes ayant des origines non juives. Dans nos villes, perdure la mémoire du martyre des Juifs rassemblés par l’occupant allemand dans des quartiers-prisons que furent les ghettos. Seules quelques rares synagogues d’avant-guerre servent aujourd’hui de maisons de prière. Dans les bâtiments qui furent jadis des écoles religieuses ou des bains rituels juifs, on n’entend plus sonner le yiddish ni l’hébreu. Dans les frontières actuelles de la Pologne, il y a presque 1200 cimetières juifs identifiés, mais il n’y a plus personne pour se rendre sur les tombes qui s’y trouvent. Œuvres d’art et d’artisanat d’art, livres anciens,  manuscrits de savants, d’écrivains et de compositeurs furent détruits à jamais.

               Nous racontons aujourd’hui l’histoire des Juifs de Pologne, ainsi que celle de leur monde annihilé, à travers des publications et conférences scientifiques, festivals, expositions, concerts et monuments, dans le cadre des activités scientifiques de l’État et des établissements de culture tels que musées, théâtres, archives ou bibliothèques. Communautés confessionnelles, organisations sociales, maisons d’édition et périodiques juifs renaissent petit à petit. Nous soutenons leurs activités parce que le nazisme ne doit pas avoir le dernier mot dans le récit des Juifs polonais et de leur martyre.

Commémorer la tragédie de la Shoah doit être un élément important et durable de l’éducation pour la paix. Un récit qui pénètre les cœurs, qui brise les barrières des préjugés, des divisions et de la haine. Une leçon qui enseigne comment manifester notre compréhension et notre assistance aux personnes les plus éprouvées par le sort.  

C’est dans cet esprit-là que nous célébrerons la Journée internationale à la mémoire des victimes de la Shoah, fixée, sur une décision de l’Assemblée générale de l’ONU il y a 15 ans, le jour anniversaire de la libération du KL Auschwitz. Ainsi, dans quatre jours, dans l’enceinte du Musée d’État Auschwitz-Birkenau – lieu où sont dispersées les cendres de plus d’un million de victimes de la Shoah – nous nous réunirons entre chefs d’États et de gouvernements du monde entier. Nous serons accompagnés de survivants, hommes et femmes désormais très âgés. Le jour du 75e anniversaire de la fin symbolique de la Shoah, nous porterons témoignage de la vérité en lançant un appel à la paix, à la justice et au respect entre les nations.

Mémoire éternelle et honneur aux exterminés du KL Auschwitz !

Mémoire éternelle et honneur aux victimes de la Shoah !

 

Président de la République de Pologne

Andrzej Duda

 

 

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